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Comité Scientifique Français de la Désertification

French Scientific Committee on Desertification
Plantation
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Fiche d'actualité

L’ingénierie écologique

Paru en 2015
Auteur(s) : Chotte Jean-Luc, Scopel Éric

Pour une agriculture durable dans les zones arides et semi-arides d’Afrique de l’Ouest

Repenser la gestion des systèmes agricoles et naturels par l’ingénierie écologique 

Les régions arides et semi-arides d’Afrique de l’Ouest sont caractérisées par de fortes contraintes environnementales qui ont façonné les écosystèmes naturels et les activités humaines :

  • précipitations faibles, peu fréquentes, irrégulières, imprévisibles et concentrées sur quelques mois ;
  • sols majoritairement pauvres en matières organiques et en éléments nutritifs.

Ainsi, faune, flore et écosystèmes naturels — savanes et forêts sèches —, sont adaptés à ce contexte d’aridité plus ou moins prolongé. Les activités agricoles et pastorales, très présentes dans ces régions, se sont également adaptées au fil du temps à ces contraintes, afin d’assurer avant tout une autosuffisance alimentaire, notamment au travers d’une intégration « ligneux-agriculture-élevage ». Cette intégration apparait au sein d’une exploitation, des villages — où éleveurs et agriculteurs coexistent et où arbres et cultures se côtoient— mais également à l’échelle de plus vaste territoires à travers le pastoralisme nomade et les pratiques de transhumance.

Dans le contexte actuel de contraintes croissantes, climatiques et socioéconomiques, les agricultures des zones sèches doivent évoluer afin de s’adapter et de répondre à un double défi : produire plus pour satisfaire les besoins alimentaires importants de populations en croissance, mais aussi produire mieux de façon viable et durable. Une évolution rapide des agricultures de ces zones vers des modes de production à la fois plus productifs, économes en ressources naturelles et résistants aux aléas climatiques, est indispensable.

Dans ce cadre, l’ingénierie écologique propose de nouvelles alternatives de gestion des systèmes agricoles plus adaptées aux nécessités sociales et environnementales en pleine transformation de ces régions. Ceci implique de maitriser la complexité des systèmes étudiés et de s’inspirer à la fois du fonctionnement des écosystèmes naturels de référence à la région agroécologique concernée — les savanes pour les zones sèches ouest-africaines — et des pratiques traditionnelles et savoir-faire locaux issus d’une longue adaptation face aux contraintes environnementales — les pratiques agro-sylvo-pastorales.

L’ingénierie écologique est la « gestion d’écosystèmes et la conception d’aménagements durables, adaptatifs, multifonctionnels, inspirés de, ou basés sur, les mécanismes qui gouvernent les systèmes écologiques ». Ses objectifs sont de restaurer des écosystèmes perturbés par les activités humaines, et de développer des écosystèmes durables qui ont à la fois une valeur humaine et écologique. Les stratégies d’intervention sont basées sur les capacités d’auto-organisation et d’auto-entretien que possèdent les écosystèmes. Ces recherches s’appuient à la fois sur une approche scientifique fondée sur l’écologie et une approche expérimentale pratique.

Agir sur la biodiversité 

La biodiversité est essentielle à la productivité des écosystèmes et à leur stabilité dans le temps face à des perturbations extérieures. Différents processus biologiques ou écologiques en lien avec la biodiversité peuvent être intensifiés au bénéfice des systèmes agro-sylvo-pastoraux :

  1. Valoriser la diversité et l’activité des microorganismes du sol au profit des plantes. Par exemple, deux types de microorganismes peuvent contribuer à l’intensification écologique des systèmes agro-sylvo-pastoraux ou à la réhabilitation de terres dégradées des zones sèches :
    • Les rhizobiums, bactéries du sol, en s’associant aux légumineuses de façon symbiotique, fixent l’azote atmosphérique gazeux en une forme assimilable par la plante.
    • Les champignons mycorhizogènes, en colonisant le système racinaire, forment, avec la quasi-totalité des végétaux, une symbiose permettant à la plante de mieux absorber l’eau et les éléments nutritifs.
  2. Associer et faire collaborer des plantes. Les savanes sont des milieux où diverses plantes coexistent, s’entraident, participant à la résilience de ces milieux. Des pratiques agricoles, forestières ou d’élevage s’inspirent de ces processus écologiques :
    • L’association « légumineuses-céréales », via le processus de fixation d’azote atmosphérique, permet de valoriser les ressources du milieu dans les systèmes à bas niveaux d’intrants azotés.
    • Les pratiques agroforestières participent à la préservation des sols et du cycle des nutriments, augmentent la biodiversité, stockent le carbone atmosphérique, diversifient les revenus, etc.
    • La conservation par les paysans d’arbustes natifs à usages multiples dans les champs cultivés bénéficie aux plantes voisines, améliore les propriétés du sol, entretient son activité biologique et réduit les risques pour l’environnement.
    • La restauration écologique des forêts sèches peut être passive (ex. mise en défens contre les troupeaux), ou bien active (plantation d’espèces locales adaptées et en mélange) quand le potentiel de régénération des ligneux est faible ou quand les sols sont dégradés.
    • La valorisation de la biodiversité des plantes cultivées localement — actuellement sous-exploitées — permettrait de répondre durablement aux nouvelles conditions sociétales et climatiques. Leur diversité génétique élevée et adaptée aux conditions locales résulte de pratiques agricoles et de sélection variétale par les agriculteurs (cas du mil).

Agir sur les cycles de la matière organique et des nutriments 

La productivité des agrosystèmes à faible utilisation d’intrants chimiques des zones sèches est surtout basée sur la bonne gestion des ressources organiques — et donc des flux de nutriments et d’énergie qu’elles induisent. Il est alors possible d’intervenir à plusieurs niveaux :

  1. Renforcer une intégration de l’élevage et de l’agriculture qui préserve les ressources naturelles. L’élevage, associé à l’agriculture, permet d’intensifier la productivité des sols limités en éléments fertilisants grâce aux transferts de fertilité assurés par les troupeaux. Trois voies permettent cette association « élevage-agriculture » à différentes échelles :
    • parcelle : accroître les ressources fourragères disponibles (plantation d’arbres fourragers…) ;
    • exploitation agricole : réduire les pertes en nutriments dues aux animaux d’élevage lors du recyclage de la biomasse, notamment l’azote (collecte des déjections, fosses fumières protégées…) ;
    • territoire : aménager l’espace pour faciliter la présence et la mobilité des animaux d’élevage et ainsi permettre les transferts de fertilité (jachères courtes, couloirs au sein du terroir…) tout en limitant l’impact de l’élevage sur les ressources naturelles, notamment des ligneux.
  2. Restaurer la vie biologique des sols par des intrants organiques spécifiques. Par exemple, les effets du bois raméal (bois fractionné) sur les propriétés des sols et les performances des plantes cultivées sont en cours d’expérimentation. Cette technique s’inscrit dans une démarche d’imitation des écosystèmes arborés, notamment au niveau des apports organiques dans les sols et donc de leur teneur 
    en carbone.
  3. Nourrir localement la plante. De nombreuses observations en milieu naturel montrent que certaines plantes pour se maintenir en vie concentrent des éléments nutritifs autour de leur système racinaire. Le zaï, pratique agricole rencontrée dans les zones sahéliennes du Burkina Faso et du Niger, peut être considéré comme une reproduction de ce principe écologique. Cette technique traditionnelle consiste à creuser de petites cuvettes en période sèche afin de capter l’eau de pluie et concentrer les éléments nutritifs contenus dans les matières organiques à proximité immédiate des plantes cultivées Elle permet d’assurer une production agricole dans des régions particulièrement difficiles.

Mieux utiliser l’eau disponible 

Dans les zones sèches, l’offre en eau est limitée et irrégulière. Sa gestion actuelle — qui consiste à capturer des pluies et des ruissellements de surface — peut être améliorée de plusieurs façons :

  1. S’adapter à des pluies erratiques ou aux risques de sécheresse en jouant (i) sur l’organisation de l’exploitation agricole et de la communauté (répartition des parcelles agricoles en lien avec la distribution aléatoire des pluies…) et (ii) sur les techniques culturales pour limiter les besoins en eau des plantes (choix de la plante, sarclages…).
  2. Conserver l’eau au niveau de la parcelle en limitant le ruissellement. Un exemple est l’application de paillis végétaux qui améliore la qualité du bilan hydrique des cultures, favorisant la production dans les zones à pluviométrie déficitaire, et atténuant les risques dus au caractère aléatoire des pluies.
  3. Prendre en compte le rôle essentiel que jouent les arbres sur le sol et l’eau en zones sèches : meilleure infiltration de l’eau de pluie dans les sols, stockage d’eau dans les racines et le tronc mobilisable en cas de sécheresse, remontée d’eau et d’éléments nutritifs issus des horizons profonds, séquestration de carbone dans le sol, etc.

Maîtriser les paysages et les processus écologiques propres à cette échelle 

ParcageNocturne_Kolda_Photo_JonathanVayssieres

La régulation écologique des ravageurs des cultures par leurs ennemis naturels est un des services écosystémiques fournis par la biodiversité. Une meilleure gestion des ravageurs peut être envisagée en lien avec la biodiversité observée à différentes échelles, de la plante au paysage :

  • Champ cultivé : les caractéristiques variétales et les pratiques culturales (associations et rotations culturales…) y constituent des leviers d’action possibles pour l’agriculteur.
  • Paysage agro-sylvo-pastoral : les espaces non cultivés constituent des habitats pour une grande diversité d’ennemis naturels des ravageurs de cultures. Ils constituent l’échelle privilégiée d’action. La gestion de ces habitats est un levier potentiel pour limiter la colonisation des cultures par les ravageurs et favoriser les services de régulation écologique. À ce titre, les parcs agroforestiers tiennent une place importante.

Pour diffuser et faire adopter ces pratiques innovantes, ou traditionnelles (mais améliorées), d’ingénierie écologique par les agriculteurs et les éleveurs des zones sèches, il est indispensable de prendre en compte les contraintes socioéconomiques auxquelles ils sont exposés :

  • Le droit d’accès à la terre et à l’eau : dans un contexte social où la permanence des droits d’accès à ces ressources n’est pas assurée, il faut que les droits — coutumiers ou régaliens — garantissent cet accès à long terme pour les agriculteurs et les éleveurs.
  • Les prix agricoles : du fait de la grande instabilité des marchés, la mise en place de mécanismes de stabilisation des prix agricoles est indispensable pour stimuler les investissements.
  • Les investissements : ces pratiques nécessitent de nouveaux investissements (fonds, main d’œuvre) et certains travaux immobilisent les terres plusieurs années avant qu’elles ne soient productives. Cette contrainte est d’autant plus grande dans un contexte d’agriculture familiale à faible capacité d’investissement, au système bancaire souvent inexistant et parfois à faible capacité de mobilisation de la main d’œuvre.
  • Les questions sociales et sociétales : les contextes sociaux et sociétaux anciens régissent (outre l’accès à la terre) les héritages, l’organisation du travail et de la société, la répartition des fruits de l’agriculture et de l’élevage. Tout changement de pratiques modifie l’ordre social établi. À prendre en compte également les processus de déconcentration, de décentralisation, et de création d’organisations paysannes en cours dans ces régions.
  • Enfin, il est évident que la paix et la sécurité civile sont cruciales au bon fonctionnement des sociétés et, par là même, à la diffusion de telles pratiques.
Auteur(s) membre(s) du CSFD