« La diversité du vivant décline globalement à un rythme sans précédent dans l’histoire humaine ». La plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) dresse en 2019 un constat alarmant sur l’état de la biodiversité de la planète et nous appelle toutes et tous à (ré)agir au plus vite. Selon l’IPBES, environ 1 million d’espèces vivantes seraient menacées et l’érosion des populations interviendrait à un rythme 100 à 1 000 fois supérieurs à ceux des précédents processus d’extinction. Qu’en est-il des zones sèches ? Le CSFD donne son point de vue et propose neuf recommandations pour à la fois lutter contre la dégradation des terres et de la biodiversité, et appuyer le développement durable dans ces régions.
L’IPBES (2018) considère la lutte contre la dégradation des terres comme prioritaire pour protéger la biodiversité et les services écosystémiques fondamentaux pour toute vie sur Terre en relation avec les objectifs de développement durable(1). Dans les zones sèches, cela garantirait non seulement l’avenir des écosystèmes, mais aussi le développement durable des sociétés humaines qui en dépendent étroitement.
La 15e Conférence des Parties (2021, Kunming, Chine) de la Convention sur la diversité biologique (CDB) adoptera un nouveau cadre mondial post 2020 (2)pour la biodiversité comme une première étape vers 2050 pour « vivre en harmonie avec la nature ».
1 ODD en lien avec la biodiversité terrestre (ODD15), le climat (ODD13), la pauvreté (ODD1), la sécurité alimentaire et nutritionnelle (ODD2), la production et consommation durable (ODD12).
2 En cours d’élaboration au moment de la rédaction de cette fiche.
Désertification, changement climatique et érosion de la biodiversité : même combat !
Les trois conventions de Rio traitent de questions d’environnement mondial qui constituent des préoccupations fondamentales de l’humanité -changement climatique, perte de la diversité biologique et désertification- et des menaces qu’elles font peser sur la vie sur Terre :
- Les activités anthropiques y sont centrales à la fois pour les impacts qu’elles génèrent et les solutions qu’elles peuvent apporter.Les politiques et les mesures appellent de façon urgente à changer de point de vue et à modifier profondément les modes de production et de la gestion de l’environnement.Des mesures basées sur l’amélioration, la préservation et la restauration des terres font partie des solutions partagées par ces conventions.Dégradation des terres, changement climatique et érosion de la biodiversité ne peuvent plus être traités séparément, car les dynamiques économiques et sociales à transformer pour protéger les terres, la biodiversité et le climat sont les mêmes.Perte de diversité biologique, changement climatique et désertification sont interdépendants, avec comme corolaire une mise en oeuvre de solutions qui peut parfois produire des tensions et des contradictions : par exemple, la construction d’un barrage hydroélectrique pour réduire le recours aux combustibles fossiles peut avoir des impacts négatifs sur la biodiversité des rivières en aval. Sa durabilité dépendra des mesures de lutte contre la désertification en amont.
Importance et rôle de la biodiversité dans les zones sèches
Présentes sur tous les continents, depuis les savanes africaines jusqu’aux steppes d’Asie et aux rives de la Méditerranée, les zones sèches abritent de multiples biomes, pour certains singuliers, à l’image des oasis ou des fleuves éphémères. Bien que la diversité spécifique y soit plus faible que dans les milieux humides, le taux d’endémisme y est élevé. Variabilité climatique élevée et sols hétérogènes ont façonné les écosystèmes et les espèces inféodées aux zones sèches. Celles-ci constituent des habitats d’une importance vitale pour la faune sauvage et jouent un rôle capital du point de vue de la diversité des écosystèmes.
De nombreuses espèces sont d’une grande valeur pour les stratégies d’adaptation aux changements climatiques.
En effet, espèces et écosystèmes des zones sèches ont développé des stratégies efficaces pour faire face aux contraintes environnementales extrêmes et imprévisibles qui y règnent (rareté de l’eau, températures excessives, sécheresses…) et survivre : profondes racines, feuilles réduites, reproduction adaptée, mode de vie animal souterrain ou nocturne, etc. Conserver ces espèces et leur capacité d’évolution représente donc un enjeu crucial dans un monde soumis à des pressions climatiques croissantes.
La diversité génétique est élevée en raison de ces adaptations.
Ceci est le cas en Afrique circum-saharienne, où il existe des patrimoines génétiques originaux, comme ceux du mil et des espèces sauvages apparentées, ainsi que des mosaïques de foyers d’adaptation et d’évolution de la biodiversité. Cette diversité génétique et les propriétés d’adaptation écophysiologiques des espèces sont à la base de la diversification des productions agricoles – exemple des plantes cultivées ou fourragères et des animaux domestiques dérivés d’espèces sauvages− mais aussi de la création de nouvelles variétés adaptées à différentes conditions écologiques ainsi qu’aux fluctuations ou aux changements environnementaux, y compris climatiques, en cours et à venir.
Le rôle fonctionnel de la biodiversité est essentiel pour les écosystèmes.
La diversité génétique et spécifique contribue à leur évolution et leur résilience face aux perturbations ; elle constitue la base des fonctions des écosystèmes et permet aux sociétés humaines d’en retirer de nombreux bénéfices : les services écosystémiques (production alimentaire, contrôle biologique, pollinisation…). Elle favorise la production de biomasse, assure une meilleure utilisation de l’eau et des ressources trophiques par les plantes et animaux.
La biodiversité constitue pour l’homme la base de stratégies de subsistance.
Les sociétés installées dans ces régions depuis des milliers d’années ont développé des agricultures adaptées aux contraintes climatiques et édaphiques qui y règnent. La cueillette d’espèces sauvages est utilisée traditionnellement. Les hommes dépendent d’un vaste éventail de produits végétaux et animaux destinés à la consommation familiale et la vente ; ces produits contribuent significativement aux économies des ménages.
La désertification et les modifications des modes d’utilisation et de couverture des terres sont les principaux facteurs de perte de biodiversité, avec la surexploitation des populations naturelles et la destruction des habitats. 12 millions d’hectares de terres sont dégradés annuellement et le coût de la perte induite d’espèces et de services écosystémiques s’élèverait à 10 % au minimum du PIB mondial annuel (IPBES, 2018).
Quelques définitions
Selon la Convention des Nations Unies de lutte contre la désertification, la désertification est « la dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches par suite de divers facteurs, parmi lesquels les variations climatiques et les activités humaines ». Ses conséquences sont multiples pour l’environnement − érosion des sols, manque d’eau, disparition de la flore et de la faune, etc. − et pour les hommes − pauvreté, famine, migrations, conflits… Les zones sèchescouvrent près de 40 % des terres émergées du globe sur les cinq continents. Elles abritent de nombreuses espèces et des écosystèmes uniques ainsi que 38 % de la population mondiale − plus de 2 milliards d’individus − dont la majorité (90 %) vit dans des pays en voie de développement et dépend fortement des ressources naturelles, y compris sauvages.
La neutralité en matière de dégradation des terres dans les zones affectées par la désertification est « un état où la quantité et la qualité des terres nécessaires pour soutenir les fonctions et les services des écosystèmes et améliorer la sécurité alimentaire restent stables ou augmentent dans le cadre d’écosystème et d’échelle spatiale et temporelle définis ». Elle vise à la fois le développement durable et la lutte contre la dégradation des terres en s’articulant autour de deux points fondamentaux :
- la sécurité alimentaire globale, au travers de la réduction de la dégradation des terres cultivées et la restauration des terres dégradées ;
- la préservation et la restauration des écosystèmes afin de maintenir les services rendus par les écosystèmes pour le bien-être des populations.
D’après CNULD, 2015
L’agroécologie comprend une diversité d’approches et de pratiques durables à l’échelle agricole ou paysagère. Plusieurs rapports récents montrent que l’agroécologie
(1) contribue à la transition vers des systèmes alimentaires et agricoles plus durables,
(2) peut générer des externalités positives environnementales, notamment la préservation de la biodiversité. Les pratiques agroécologiques font partie des solutions basées sur la nature. Pour l’après 2020, l’IPBES prie le Secrétariat de la CDB d’appuyer la diffusion et la mise en oeuvre des pratiques agroécologiques dans ses projets et programmes de protection de la biodiversité et des écosystèmes.
Plus d’informations :www.fao.org/agroecology/overview/overview10elements/fr/
Les solutions fondées sur la nature sont définies par l’UICN comme « les actions visant à protéger, gérer de manière durable et restaurer des écosystèmes naturels ou modifiés pour relever directement les défis de société de manière efficace et adaptative, tout en assurant le bien-être humain et en produisant des bénéfices pour la biodiversité ». Elles se déclinent en trois types d’actions, qui peuvent être combinées dans les territoires, avec des solutions d’ingénierie civile :
- la préservation d’écosystèmes fonctionnels et en bon état écologique ;
- l’amélioration de la gestion d’écosystèmes pour une utilisation durable par les activités humaines ;
- la restauration d’écosystèmes dégradés ou la création d’écosystèmes.
Ce concept, reconnu au niveau international lors du congrès mondial UICN à Hawaï (2016), s’appuie sur « l’utilisation » de la nature et de la biodiversité au service des grands défis sociétaux. Les questions agricoles, de sols et de développement sont ancrées dans ce concept : « The goal of this programmatic engagement is that governments, businesses and land managers (including farming communities) implement a common vision to protect and restore biodiversity on farms and in agricultural landscapes, including the ecosystems on which agriculture depends.»
Plus d’informations :
https://uicn.fr/solutions-fondees-sur-la-nature/
https://www.iucn.org/theme/ecosystem-management/our-work/agriculture-and-land-health
Les recommandations du CSFD
Les acteurs auxquels s’adressent ces recommandations sont multiples. Certaines concernent essentiellement les instances internationales (1, 2, 8, 7), les décideurs en charge des politiques environnementales et de développement (1, 2, 7, 8, 9), les responsables des projets régionaux d’aménagement, de conservation et de politiques agricoles et la communauté scientifique (3, 6, 7, 9), les acteurs de terrain et les porteurs de projets à l’échelle locale (3, 4, 5).
1. Préserver, favoriser, restaurer la diversité des espèces et ressources génétiques pour la résilience des agro- et écosystèmes et le développement durable des populations
Les écosystèmes sont d’autant plus stables qu’ils sont diversifiés. La complexité liée à la biodiversité stabilise les écosystèmes en amortissant les fluctuations temporaires des populations naturelles 3. En effet, les fonctions écologiques des espèces se chevauchent de telle sorte que si une espèce disparaît, la fonction qu’elle assumait est compensée par d’autres espèces. Certaines espèces ont été identifiées comme jouant un rôle essentiel pour maintenir l’intégrité de l’écosystème à l’instar d’espèces steppiques pérennes (ex. Plantago albicans) qui ont un rôle clé de voûte dans la restauration des parcours des steppes tunisiennes.
L’agrobiodiversité -diversité des organismes vivants gérée par l’agriculteur- en lien avec les espèces sauvages présentes, participe aux services écosystémiques au niveau de la parcelle et agit sur la production et la durabilité des systèmes agricoles : pollinisation, production de biomasse, maintien de la fertilité des sols, protection des cultures. Elle limite ainsi les risques pour les agriculteurs et leurs familles, en améliorant la stabilité des systèmes agricoles, leur assurant ainsi une sécurité alimentaire malgré les aléas et changements climatiques. La biodiversité sauvage joue aussi un rôle socioéconomique important pour les populations locales : alimentation, pharmacopée traditionnelle, extractivisme, biotechnologies, écotourisme.
Certaines variétés et races sont connues pour posséder des caractères génétiques utilisables dans le monde entier dans le cadre de programmes d’amélioration, comme le mil, ou le fonio, adaptés à la sécheresse et aux sols peu fertiles. En effet, les agricultures très anciennes de ces régions – oasis, agroforêts, cultures itinérantes, pastoralisme… − ont conduit les agriculteurs à s’approprier et développer de nombreuses variétés traditionnelles de plantes cultivées et de races animales domestiques adaptées à la chaleur, à l’aridité, aux grands déplacements et qui supportent des périodes de sous-alimentation ou des abreuvements espacés.
Concernant les ressources génétiques agricoles, plusieurs enjeux se combinent : la disponibilité de variétés locales adaptées aux conditions agro-climatiques et valorisables sur les marchés locaux à internationaux. La conservation in situd’espèces et de gènes est un enjeu d’autant plus important que les banques de gènes ex situ sont coûteuses et difficiles à pérenniser. Elle implique de reconnaître les communautés et agriculteurs, comme des acteurs majeurs de la préservation des espèces 4.
3 Diaz et al., 2007. Incorporating plant functional diversity effects in ecosystem service assessment. PNAS. 104(52): 20684-20689.
4 Bonkoungou E.G., 2001. Biodiversity in drylands: challenges and opportunities for conservation and sustainable use.The Global Drylands Partnership. UNDP, New York.
2. Augmenter les aires protégées et renforcer leur efficacité en favorisant la diversité des statuts et des mécanismes innovants de gestion
Seuls 9 % des zones arides bénéficient d’un statut de protection officiel et certains des écosystèmes arides les plus riches sont sousreprésentés dans les aires protégées (FAO, 2016). L’avant-projet du cadre mondial de la biodiversité pour l’après 2020 propose de porter à 30 % la superficie protégée des espaces terrestres et maritimes pour les zones à forte biodiversité ; il reste nécessaire d’en préciser les termes pour évaluer sa faisabilité notamment en zones sèches.
De la réserve naturelle intégrale jusqu’aux diverses aires protégées où les activités humaines sont plus ou moins régulées, les outils de protection de la biodiversité sont nombreux et diversement efficaces. Ceux-ci peuvent intégrer les zones traditionnelles de mises en défens et la préservation des terres des peuples autochtones, dans une logique de gestion participative. La création et la gestion d’aires protégées sont actuellement des moyens largement utilisés au niveau international, mais dont les résultats sont parfois mitigés selon leur statut, leur mode de gestion participative ou étatiques et leur financement. L’un des enjeux actuels est d’identifier des statuts et des mécanismes innovants de gestion de ces aires protégées afin d’atteindre le double objectif de préservation de la biodiversité et de bien-être des populations.
La conservation de la biodiversité ne saurait se réduire à la sauvegarde d’un échantillon d’habitats naturels au travers d’un nombre limité d’aires protégées. Les zones adjacentes ont aussi un rôle majeur pour la préservation des ressources, de même que pour l’intégrité et la diversité biologique des zones protégées. La protection de la biodiversité doit se penser pour la plupart des zones sèches dans un milieu anthropisé et soumis à des usages divers. La conciliation de ces usages et types d’exploitation et des objectifs de conservation suppose à la fois des pratiques environnementales et économiques adaptées.
3. Préserver, favoriser, restaurer la diversité des habitats, écosystèmes, paysages et mosaïques culturales
Les stratégies de conservation de la biodiversité doivent être pensées à différentes échelles d’application -du local au global- pour prendre en compte les niveaux de la biodiversité -écosystémique, spécifique, génétique intra-spécifique- pour sa conservation.
Assurer la représentativité des aires protégées, leur connectivité et leur mise en réseau multi-échelle est une condition indispensable à leur réussite. Ce réseau doit refléter la diversité des systèmes écologiques au niveau des paysages afin de contrer les effets du changement d’usage des terres (incluant la fragmentation des écosystèmes), de l’exploitation directe des ressources par l’homme, de la pollution, des espèces exotiques envahissante et du changement climatique. Il s’agit de reconstituer des réseaux écologiques et d’échanges pour que les espèces animales et végétales puissent assurer leur cycle de vie et qui facilitent les échanges entre populations naturelles et le déplacement des espèces vers des conditions environnementales plus propices.
Ces réseaux doivent s’inscrire dans les décisions d’aménagement d’un territoire afin de favoriser (1) une gestion multifonctionnelle et résiliente de l’usage des terres pour réduire les impacts sur la biodiversité et (2) la participation des populations et autres acteurs du territoire concernés pour une gestion concertée des ressources naturelles.
En dehors des zones protégées, la promotion de la diversité d’utilisation des terres à l’échelle du paysage et de l’exploitation, permet le maintien des services écosystémiques et de la biodiversité.
4. Préserver, favoriser, restaurer une couverture arborée
Les arbres jouent un rôle essentiel dans le maintien de la productivité des cultures et des pâturages en aidant le sol à conserver sa capacité de rétention de l’eau et sa fertilité et contribuent aussi à la résilience des communautés humaines et des paysages. Des études au Sahel montrent le rôle essentiel des arbres, y compris hors forêt, dans le maintien de la biodiversité. Leur canopée et leur ombrage constituent des habitats pour de nombreuses espèces végétales et animales, avec des conditions microclimatiques favorables ; leur litière contribue à entretenir une biodiversité édaphique (5)
Les innovations agricoles récentes prônent les associations végétales multistrates, en particulier les associations cultures/arbres ainsi que l’augmentation de la couverture ligneuse dans les zones sèches anthropisées : agroforesterie, embocagement… La régénération naturelle assistée contribueà protéger les sols et à accroître la productivité des cultures. Elle constitue un instrument de maintien et de conservation de la biodiversité en zones sèches.
De nombreux projets de développement augmentent la couverture ligneuse dans les terroirs (ex. parcs arborés en zone cotonnière). Cependant le pompage important dans la nappe phréatique peut engendrer des impacts négatifs à long terme. Par ailleurs, les reboisements à grande échelle, par l’uniformisation des paysages qu’ils créent, peuvent diminuer la diversité spécifique et des systèmes écologiques ainsi que des pratiques d’usage associées.
5 Grouzis M., Akpo L.E., 2003. Influence d’Acacia raddiana sur la structure et le fonctionnement de la strate herbacée dans le Ferlo sénégalais. In: Grouzi M. et Le Floc’h E. (eds), Un arbre au désert : Acacia raddiana. Paris, IRD Éditions : 249-262.
5. Préserver, favoriser, restaurer la biodiversité des sols, base de tout écosystème terrestre
Les organismes des sols des régions sèches sont extrêmement diversifiés, avec des millions d’espèces constituant la faune − de la microfaune à la macrofaune − et le microbiome − champignons, bactéries, algues, etc. −, plusieurs milliards d’individus par hectare et comprenant des niveaux élevés d’endémisme.
Ces organismes sont essentiels au fonctionnement de l’écosystème et assurent la fertilité des sols. Ils forment des réseaux trophiques qui alimentent les processus et fonctions de l’écosystème du sol, comme le cycle des nutriments et la capture du carbone, et sont des composants majeurs du cycle de la matière, de l’énergie et des nutriments. Les réseaux trophiques du sol jouent un rôle-clé dans la préservation des services écosystémiques.
La mise en culture avec des techniques inappropriées, la non-restitution de la matière organique ainsi que l’utilisation d’intrants chimiques et de pesticides conduisent à une perte de biodiversité des sols. Cette perte n’est pas seulement un problème de conservation, mais entrave les multiples fonctions de l’écosystème. Cependant, la préservation de la santé des sols et la conservation de leur biodiversité, sont souvent négligées dans les stratégies de conservation de la biodiversité et le statut et la biodiversité des sols souvent ignorés dans les évaluations environnementales…
L’élimination des facteurs de perte de biodiversité des sols est une étape-clé dans la restauration des sols dégradés.
6. Consolider, par des pratiques adaptées, le rôle de certains types d’agriculture et de système agraire comme facteur de dynamique de la biodiversité
La préservation de l’agrobiodiversité et de systèmes agricoles diversifiés est une composante essentielle de la gestion durable des territoires et la préservation de la biodiversité. Les paysans conservent traditionnellement, dans leurs parcelles et zones adjacentes, de nombreuses espèces sauvages et une variété d’habitats, grâce à une gestion diversifiée du territoire. Cependant, la croissance démographique, la mondialisation et les changements climatiques imposent des transformations majeures de ces agricultures. Comment stopper la perte de biodiversité due au changement d’utilisation des terres tout en nourrissant une population croissante ?
L’intensification de l’agriculture est indispensable pour augmenter la production et éviter son extension au détriment des zones naturelles. Parmi les différentes voies d’intensification de l’agriculture l’intensification agroécologique, basée sur l’ingénierie écologique inspirée des mécanismes qui gouvernent les systèmes écologiques, est possible et compatible avec la préservation de la biodiversité (CSFD, 2015). Dans les systèmes d’exploitation majoritairement familiaux, la transition agroécologique maintient une agriculture multifonctionnelle et réduit les impacts environnementaux des pratiques.
L’enjeu est de développer des pratiques et de concevoir des systèmes agricoles productifs favorables à la biodiversité et d’opérer une transition vers des systèmes alimentaires et agricoles durables, adaptés, produisant suffisamment tout en améliorant les performances socioéconomiques et environnementales des exploitations agricoles quelle que soit leur taille.
7. Restaurer les terres dégradées par un engagement à long terme et des pratiques socialement performantes mises en œuvre par les populations locales
La restauration des écosystèmes peut et doit être une composante essentielle des programmes de conservation et de développement durable dans le monde. Celle-ci est d’ailleurs reconnue par la communauté internationale comme un moyen important d’amélioration de la biodiversité et des services écosystémiques. Elle est prise en compte dans la plupart des programmes de travail de la CDB (COP11, 2012). La cible 15 des objectifs d’Aichi pour la biodiversité prévoyait pour 2020 la restauration d’au moins 15 % des écosystèmes dégradés (objectif non atteint). Pour l’après 2020, un objectif plus ambitieux (30 % de restauration) pourrait être adopté lors de COP 15 de la CDB.
L’adoption des ODD sous l’égide des Nations Unies en 2015, a mis sur le devant de la scène politique le concept de « neutralité en matière de dégradation des terres » (NDT). Il définit une réponse hiérarchisée à l’échelle locale (territoire, bassin versant, etc.), adaptée au contexte et à l’ampleur de la dégradation, en trois volets :
1. éviter la dégradation et réduire les facteurs de risques dans les terres et écosystèmes non dégradés ;
2. réduire la dégradation en cours des terres ;
3. restaurer les terres dégradées.
Cette hiérarchie des réponses reconnaît que la prévention est préférable à la compensation. Le bilan net de NDT se fait aussi à l’échelle locale.
Aligner les objectifs et actions de la NDT avec les engagements existants et futurs en matière de biodiversité et de changement climatique constituerait un élément essentiel d’efficacité et source de multiples co-bénéfices. En effet, perte de biodiversité, dégradation des terres
et changement climatique sont liés et évoluent conjointement, les facteurs à leur origine se chevauchant, voire sont communs. La NDT contribue à s’attaquer à ces facteurs et constitue ainsi un outil pour préserver la biodiversité au travers d’actions concertées à la fois pour protéger les écosystèmes et gérer les terres durablement. Les stratégies et les objectifs nationaux qui pourraient être adoptés pour mettre en oeuvre le cadre mondial de la biodiversité pour l’après 2020 pourraient chercher à s’aligner sur les engagements déjà pris par les pays pour atteindre la NDT (GM, 2019).
Il existe différentes formes de restauration : restauration écologique, réhabilitation, restauration du capital naturel – et dont la majorité ne vise pas à restaurer la nature originelle avant perturbation -ce qui est la plupart du temps impossible !- mais plutôt à réhabiliter des composantes et des fonctions des écosystèmes.
De nombreux auteurs évoquent la nécessité de développer une vision et un protocole holistique, englobant conservation et préservation des services écosystémiques6. Dans des opérations de restauration d’un territoire, différents objectifs peuvent être combinés : (1) la restauration écologique d’écosystèmes pour renforcer la biodiversité et les services dans un cadre de conservation, (2) la réhabilitation de terres dégradées pour restaurer leur productivité et leur intégration dans des systèmes d’exploitation durable, évitant l’extension de l’agriculture aux dépens des espaces naturels.
La restauration doit (1) s’accompagner de la suppression des facteurs de dégradation préexistants, (2) de l’insertion des terres restaurées dans des systèmes de production viables et dans des plans de conservation et de développement à l’échelle des territoires, prenant en compte les conditions sociales, les contraintes et les aspirations des populations. Dans le cadre de restauration commerciale des terres, ces conditions se posent avec une acuité d’autant plus forte que le rôle et le devenir des usagers restent à préciser.
La prise en compte du régime foncier des terres et des droits d’usage est déterminante pour la réussite des actions à mener ainsi que l’implication à long terme des populations bénéficiaires7. La restauration des terres est un processus lent et progressif qui nécessite un engagement, à long terme, financier et des acteurs. Il s’agit d’entreprendre une démarche progressive – et très lente ! – pour tendre vers une trajectoire d’évolution des terres qui améliorera à la fois leur productivité, la biodiversité et les services écosystémiques associés. Il est également nécessaire d’évaluer les résultats environnementaux des programmes de restauration ainsi que leurs impacts économiques et sociaux.
6 Aronson J., Moreno-Mathéos D., 2015. État des lieux sur les actions de restauration écologique. In: Levrel H. et al. (éd.), Restaurer la nature pour atténuer les impacts du développement : analyse des mesures compensatoires pour la biodiversité. Éditions Quæ, Versailles: 164-171.
7 Larrère R., 2014. Questions éthiques à propos de la restauration écologique. In: Rey F. et al. (éd.), Ingénierie écologique : des actions par et/ou pour le vivant ? Éditions Quæ, Versailles: 43-50.
8. Mobiliser les mesures économiques et sociales d’incitation à la préservation de la biodiversité
Qu’il s’agisse de programmes de conservation, de développement d’aires protégées ou de restauration, des coûts importants seront induits pour leur mise en place et leur gestion. Ces coûts ainsi que ceux liés aux changements des pratiques, ne peuvent pas être pris en compte par les seuls usagers, car ils dépassent leurs capacités financières.
Les coûts destinés à compenser les impacts induits à distance par les systèmes actuels de production et de commercialisation, sont également à prendre en compte. La suppression des subventions aux pratiques intensives non durables est une priorité. En effet, selon l’Agence française de développement (AFD), le système économique actuel dépense 1 020 milliards USD (données 2019) en subventions néfastes pour la biodiversité contre 143 milliards USD pour la préservation de la biodiversité.
La rémunération des pratiques traditionnelles vertueuses de préservation/gestion de la biodiversité est à prévoir et doit s’insérer dans le cadre de plans locaux de développement. Il est essentiel que les usagers soient indemnisés pour tous les frais de restauration ou de changement d’utilisation des terres, et qu’une incitation financière leur soit fournie pour qu’ils gèrent ces terres durablement.
Le développement d’outils de financement innovants de la conservation de la biodiversité est encouragé. Par exemple, les paiements pour services environnementaux (PSE) peuvent contribuer à la conservation des écosystèmes tout en améliorant les conditions de vie des populations locales (AFD, 2011). En effet, ce concept consisteà établir un mécanisme compensatoire de telle sorte que les bénéficiaires des services paient des redevances aux communautés locales pour les maintenir en état. Les agriculteurs sont encouragés à utiliser des systèmes d’exploitation durables des terres. Ils sont dédommagés des coûts de production supplémentaires engendrés par la mise en place de ces nouvelles pratiques. Les PSE, souvent d’un montant faible, constituent un instrument complémentaire aux dispositifs règlementaires et aux dispositifs de gouvernance locale, sans s’y substituer. Le rôle de l’État reste essentiel et les PSE devront être articulés avec les politiques publiques nationales des secteurs rural, énergétique et foncier.
Une autre piste est la valorisation économique des produits de la biodiversité (gomme arabique, karité, etc.) dans le cadre de filières commerciales garantissant la protection de la ressource et des bénéfices équitables. Par exemple, le développement d’une indication géographique peut promouvoir la conservation de la biodiversité directement par l’utilisation d’une ressource biologique locale spécifique, ou encore la réintroduction de races ou de variétés locales menacées de disparition. Ce concept est employé comme un outil de développement rural, de conservation de la nature, de maintien des ressources naturelles, de préservation des paysages et de valorisation des savoir-faire locaux.
D’autres pistes peuvent être envisagées comme l’utilisation d’instruments financiers internationaux pour l’environnement ou le développement d’un écotourisme adapté. L’intégration dans le prix des produits importés des coûts environnementaux induits pourrait aussi constituer un levier financier important.
Toute politique de préservation de la biodiversité, pour être durable et efficace, doit conforter le bien-être des populations et s’appuyer sur l’augmentation du capital social et de mesures telles que : accroître leurs revenus, renforcer leurs pouvoirs et leurs droits sur les terres et leurs usages, développer leur éducation, leurs compétences et leurs capacités de décision et de structuration sociale.
9. Développer les évaluations environnementales des projets, plans et programmes de préservation de la biodiversité et de restauration
Il est nécessaire de développer des évaluations environnementales des projets, plans et programmes qui s’intéressent aux questions de biodiversité en articulation avec de restauration des terres dégradées. Pour cela, il est nécessaire de :
consolider le rôle d’accompagnement de la recherche dans les projets de conservation, de restauration ;
améliorer la performance des indicateurs globaux de la biodiversité en lien avec la LDN ;
développer de nouveaux outils d’évaluation des services écosystémiques en lien avec la biodiversité (traits fonctionnels)8 ;
co-construire les contours et les modalités de mise en oeuvre de ces évaluations environnementales avec tous les acteurs en mêlant connaissances scientifiques, savoirs traditionnels, partenaires techniques et financiers.
8 Peh et al., 2013. TESSA: a toolkit for rapid assessment of ecosystem services at sites of biodiversity conservation importance. Ecosystem Services. 5: 51-55.
Bibliographie
AFD, 2011. Paiements pour services environnementaux. De la théorie à la mise en oeuvre, Quelles perspectives pour les pays en développement ? À savoir. 7. Paris, 218 p.
CSFD, 2015. L’ingénierie écologique pour une agriculture durable dans les zones arides et semi-arides d’Afrique de l’Ouest. Dossier thématique du CSFD. 11, Montpellier, France, 62 p.
FAO , 2016. Directives mondiales pour la restauration des forêts et des paysages dégradés dans les terres arides. Renforcer la résilience et améliorer les moyens d’existence, Étude FAO Forêts. 175. Rome.
GM, 2019. Land degradation neutrality for biodiversity conservation. The Global Mechanism of UNCCD, Bonn, Germany, 20 p.
IPBES, 2018. The IPBES assessment report on land degradation and restoration. Secretariat of the Intergovernmental Science- Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services, Bonn, Germany. 744 p.
IPBES, 2019. Summary for policymakers of the global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. IPBES secretariat, Bonn, Germany, 56 p.
SER, 2019. International principles and standards for the practice of ecological restoration. Second edition. Restoration Ecology. 27: S1-S46.
WWF, 2020. Living Planet Report 2020. Bending the curve of biodiversity loss. Gland, Switzerland. 164 p.
Sites internet
Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) www.fondationbiodiversite.fr
Global Environment Facility (GEF) www.thegef.org/topics/biodiversity
IPBES www.ipbes.net
UICN www.iucn.org/fr/tags/work-area/biodiversity
UNCCD www.unccd.int/issues/land-and-biodiversity
UNCDB www.cbd.int
UNFCCCwww4.unfccc.int/sites/NWPStaging/Pages/Biodiversity.aspx
WWF www.wwf.fr