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Comité Scientifique Français de la Désertification

French Scientific Committee on Desertification
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Fiche d'actualité

Biodiversité et dégradation des terres en zones sèches – Rôle du pastoralisme

Paru en mars 2021
Auteur(s) : Bonnet Bernard, Hiernaux Pierre, Ickowicz Alexandre

L’élevage pastoral est accusé de longue date de contribuer à la dégradation de l’environnement1 et, en particulier, à l’érosion de la biodiversité. Cette critique est-elle justifiée alors que le pastoralisme est toujours – et depuis longtemps – une des principales activités économiques en Afrique saharo-sahélienne ? Préjugé ou réalité ? Voici des éléments de réponse…

(1) Steinfeld H. et al., 2006. Livestock’s long shadow: environmental issues and options. FAO, Rome, 390 p.

Une activité économique adaptée aux régions sèches 

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Le pastoralisme désigne un mode d’élevage fondé sur la mobilité permanente ou saisonnière, locale et régionale, du cheptel. Ce mode d’élevage est destiné à assurer l’alimentation des animaux, par une exploitation itinérante des ressources fourragères dont les disponibilités et qualités varient dans l’espace et dans le temps.

Dans les territoires saharo-sahéliens, l’élevage pastoral est familial, voué à la reproduction et à la production de bétail sur pied et, secondairement, à la production laitière. Il constitue une activité économique majeure contribuant en moyenne à 38 % du PIB agricole de ces pays2. Cette activité crée des emplois, pour les éleveurs, mais aussi pour tous les acteurs de la chaîne de valeur jusqu’aux consommateurs urbains et côtiers. C’est aussi un mode de gestion des écosystèmes, une structure sociale et une culture.

2 Ickowicz A. et al., 2012. Crop-livestock production systems in the Sahel: increasing resilience for adaptation to climate change and preserving food security. In: Meybeck et al. (eds), Building resilience for adaptation to climate change in the agricultural sector. Proc. of FAO/OECD workshop 23-24 April 2012: 261-294.

Le pastoralisme, un système complexe 

« La question n’est pas de savoir si ‘le pastoralisme sera écologique ou ne sera pas !’ Le pastoralisme n’est pas un domaine disciplinaire académique et son problème n’est pas de s’identifier à l’un d’entre eux, l’écologie en l’occurrence, mais il ne pourra être compris par nous autres chercheurs qu’en associant une approche écologique à leur étude. Il requiert en effet de s’intéresser : aux dynamiques (des saisons, des cycles pluriannuels) ; aux interactions (entre hommes et milieux, entre hommes et animaux, entre animaux entre eux, entre animaux et plantes, entre plantes entre elles quand celles-ci sont soumises au pâturage) ; à la diversité (des espèces comme des stades physiologiques, chez les animaux comme chez les végétaux) ; aux temporalités (des rythmes de croissance des animaux comme des cycles de reconstitution des réserves des plantes, comme celles également des activités humaines).» D’après Toutain et al., 2012.

Pastoralisme et biodiversité, des relations multiples 

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Le mécanisme souvent invoqué d’une érosion de la biodiversité par l’élevage pastoral est le « surpâturage » qui résulterait d’un déséquilibre entre la charge animale et l’offre fourragère. Mais ce « surpâturage » est difficile, voire impossible, à quantifier sur les parcours généralement communautaires et pour un élevage multi-spécifique mobile. En outre, il existe peu de démonstrations expérimentales de l’impact réel à court et moyen termes de l’élevage pastoral sur l’écosystème sahélien, et les résultats obtenus sur la productivité et la diversité végétale des quelques essais sont contradictoires3.

En effet, il faut distinguer :

  • les effets à court (saisonniers), moyen (interannuels) et long termes (décennal) ;
  • l’impact sur les herbacées annuelles, pérennes et les plantes ligneuses ;
  • l’impact sur la masse fourragère sur pied, la productivité, la richesse floristique, le stock semencier du sol et la structure des populations d’espèces végétales.

À court terme, le bétail à la pâture intervient par trois processus plus ou moins concomitants : le broutage, le piétinement et le dépôt des excrétions fécales et urinaires. En outre, le bétail contribue aux échanges gazeux et thermiques (respiration, émissions entériques, etc.). L’impact résultant de ces trois processus dépend fortement de la saison et, dans une moindre mesure, du relief et de la texture du sol. Seul le broutage de saison des pluies affecte la production végétale herbacée à court terme, dans un sens positif ou non, selon sa fréquence (et donc selon la charge animale) et le calendrier. La pâture en saison sèche induit le recyclage in situ d’au moins deux tiers de la masse fourragère herbacée par piétinement auxquels s’ajoute la fraction des urines et fèces déposées par les animaux au cours de la pâture.

Le prélèvement fourrager est toujours sélectif au niveau des espèces et des organes végétaux. Le bétail distribue ses prélèvements le long de l’itinéraire de pâture. Le choix varie d’une espèce animale à l’autre et il est influencé par le mode de conduite. À moyen et long termes, l’élevage pastoral influence la flore et sa diversité dans une direction qui dépend de la saisonnalité, de l’intensité de la charge et de la composition des troupeaux. Quand la charge augmente, il n’y a pas systématiquement d’érosion de la diversité ni d’accroissement des espèces non pâturées. Par ailleurs, des suivis de longue durée des écosystèmes comparant espaces mis défens et pâturés, montrent à terme une légère réduction de la biodiversité végétale au profit d’une meilleure valeur pastorale des zones pâturées4 . Le broutage très sélectif des ligneux affecte peu ces derniers, beaucoup moins que certaines pratiques humaines (ex. émondage). Le bétail joue un rôle important dans la dispersion des semences.

Il existe des impacts réciproques entre élevage et conservation de la faune sauvage. Les systèmes de production extensifs et mobiles ont un impact ponctuel sur les ressources naturelles et valorisent de manière optimale un système écologique en non équilibre compte tenu des conditions climatiques au sein des zones arides et semi-arides tropicales. Ce mode d’occupation des sols offre a priori de bonnes potentialités de coexistence avec la faune sauvage, abstraction faite de la pression de chasse et du fait que ce voisinage induise une certaine concurrence pour l’accès à l’espace et aux ressources dans la mesure où ils utilisent des niches écologiques souvent identiques. Par ailleurs, la coexistence avec les ongulés sauvages est possible et constatée dans de nombreux espaces naturels ou protégés où une complémentarité des régimes alimentaires de ces ruminants a été souvent démontrée. L’écologie du pastoralisme et celle de la faune herbivore sont imbriquées et compatibles.

Les éleveurs sahéliens, comme les éleveurs des autres continents, sont sensibles à la prédation et éloignent, ou chassent, les carnassiers quand la pression se manifeste sur leur troupeau. Par ailleurs, il existe un risque zoo-sanitaire à l’interface faune-bétail qui peut être favorable à la diffusion croisée des agents pathogènes5.


3 Hiernaux P., 1998. Effects of grazing on plant species composition and spatial distribution in rangelands of the Sahel. Plant Ecology, 138: 191-202. Miehe et al., 2010. Long-term degradation of Sahelian rangeland detected by 27 years of field study in Senegal. J. of Appl. Ecol.,47(3): 692-700.) 
4 Projet d’autopromotion pastorale du Ferlo 
5 Binot et al., 2006. L’interface faune-bétail en Afrique subsaharienne. Sécheresse, 17(1-2): 349-361)

Recommandations pour l’élevage pastoral 

Faciliter la mobilité saisonnière des troupeaux en adaptation aux variations saisonnières et interannuelles des ressources pastorales (eau et fourrages) afin d’éviter la pâture intense au cours de la saison de croissance et les fortes charges de troupeaux sédentaires.

  • Assurer le plus large accès du bétail aux parcours et points d’eau : gestion communautaire concertée des parcours y compris des chaumes post- culturaux.
  • Investir de façon concertée dans les infrastructures hydrauliques, de gestion des parcours (couloirs de passage, gîtes et réserves pastorales), vétérinaires et commerciales.
  • Limiter la privatisation des terres à vocation pastorale au nord du Sahel incompatible avec la mobilité nécessaire des troupeaux.
  • Investir dans les services d’éducation et de santé décentralisés en zone pastorale.
  • Promouvoir l’articulation des élevages pastoraux naisseurs et des élevages sédentaires spécialisés en zones péri-urbaines et subhumides (commercialisation, contrats).
  • Soutenir les associations socioprofessionnelles de l’élevage et la prise de responsabilité dans les concertations pour l’accès aux ressources et dans la formation professionnelle.
  • Développer de nouvelles approches concertées de gestion de la faune impliquant les communautés de pasteurs dans la conservation de la faune des aires pastorales et des périphéries des aires protégées.
  • Impliquer les pasteurs et acteurs locaux dans la restauration participative des écosystèmes sahéliens dégradés (notamment la strate ligneuse).

Pour en savoir plus : 

Assouma M.H. et al., 2018. How to better account for livestock diversity and fodder seasonality in assessing the fodder intake of livestock grazing semi-arid sub-Saharan Africa rangelands. Livest. Sc., 216: 16-23.

Bonnet B. et al., 2005. Hydraulique et sécurisation des systèmes pastoraux au Sahel. Appui à la gestion locale. Démarches et méthodes, Iram, Paris, 28 p.

Boutrais J., 1990. Derrière les clôtures… Essai d’histoire compare de ranchs africains. ORSTOM Cah. des sc. Hum., 26(1–2): 73–95.

Thebaud B. et al., 1995. Recognizing the effectiveness of traditional pastoral practices: lessons from a controlled grazing experiment in Northern Senegal. Drylands Issues Paper, 55, IIED, London.

Toutain B. et al., 2012. Pastoralisme en zone sèche. Le cas de l’Afrique subsaharienne. Les dossiers thématiques du CSFD. 9. CSFD/ Agropolis International, Montpellier, France. 60 p. (http://www.csf-desertification.org/dossier/item/dossier-pastoralisme-en-zone-seche.)

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