L’engouement récent de certains pour le biochar est dû au fait qu’il est présenté comme une possibilité de fixer de façon quasi-permanente du carbone atmosphérique, grâce à un processus à bilan carbone négatif. La chaîne qui permet ce résultat est basée sur la collecte de résidus végétaux non utilisés (qui seraient sinon décomposés par voie naturelle en émettant du CO2) et leur transformation en carbone ‘noir’ stable et divers produits gazeux. Lorsque ce carbone est ensuite enfoui dans le sol, il y est non seulement stocké de façon permanente, mais il en améliorerait aussi les propriétés agronomiques.
La production de biochar est promue comme méthode révolutionnaire de captage du CO2 atmosphérique par des groupes qui y voient l’émergence d’une nouvelle activité économique. En effet, la qualité du bilan dépend de l’utilisation d’installations permettant d’optimiser la pyrolyse des résidus végétaux. Les installations traditionnelles de production de charbon de bois ne maîtrisent pas le flux gazeux et ne permettent pas d’atteindre un bilan carbone négatif [c’est-à-dire, le bilan net de tous les flux directs et indirects de gaz à effet de serre impliqués et exprimés en équivalents C-CO2 ou en équivalents CO2 en fonction de leur potentiel de réchauffement global respectif (par exemple environ 300 pour le N2O et 25 pour le CH4)]. Il faut donc prévoir toute une gamme d’équipements adaptés, de l’échelle villageoise à l’installation de taille industrielle, y compris pour la collecte des intrants et la distribution du produit.
De plus, le biochar a également suscité un intérêt agronomique il y a déjà plusieurs années, en particulier en Amazonie par la découverte de la fertilité de la Terra Prieta, comparée à celle des sols voisins. Ces ‘terres noires’ sont le résultat de l’accumulation des résidus de combustion lente des déchets organiques des communautés villageoises en bord de fleuve. Les études archéologiques ont montré que dans certains cas cette accumulation a pu avoir lieu sur plusieurs millénaires, prouvant la stabilité de ce type de charbon.
Le biochar, carbone stable issu de la pyrolyse
Le terme ‘biochar’ est l’abréviation de ‘bio-charcoal’. Il désigne un charbon d’origine végétale obtenu par pyrolyse de biomasse végétale d’origine diverse, généralement des déchets de scierie ou des résidus agricoles . Il se présente sous forme de petits fragments noirs, légers et extrêmement poreux. Composé en majeure partie de carbone, sa composition n’est pas exactement définie car elle va dépendre de la nature de la biomasse utilisée et du processus de pyrolyse ; Il peut aussi contenir diverses molécules organiques. Cela pose un certain nombre de problème pour interpréter les expérimentations.
La pyrolyse est un procédé de carbonisation des matières organiques en absence d’oxygène ou sous très faible pression d’oxygène. Les produits obtenus sont d’une part un gaz combustible, d’autre part un liquide utilisable comme biocarburant et un résidu solide à forte teneur en carbone : le biochar. En modifiant les paramètres de la pyrolyse, on peut obtenir plus ou moins de tel ou tel produit.Le biochar ne doit pas être confondu avec le charbon de bois produit traditionnellement. En effet, d’une part il ne s’agit pas exactement du même matériau, d’autre part la production du charbon de bois aggrave la déforestation et produit des gaz à effet de serre : CO2, méthane… Cependant dans certains articles le risque de confusion existe car la précision n’est pas apportée. D’autant qu’il existe aussi des méthodes améliorées de production de charbon de bois comme combustible domestique.
Des bénéfices directs et indirects
- La pyrolyse de résidus de biomasse, d’origine forestière ou agricole, permet de produire un biocarburant, sans concurrence avec les productions agricoles.
- Le biochar, sous-produit de la pyrolyse, serait un amendement permettant d’améliorer la fertilité et la stabilité des sols cultivés d’une part et d’autre part de stocker du carbone dans les sols à moyen et long terme.
- La biosphère, au travers de la production végétale notamment, absorbe du CO2, mais seule une petite partie est stockée de manière stable à plus ou moins long terme (sols, bois…)
- La production de biomasse pour obtention de biocarburant et stockage du carbone dans le sol par le biochar serait une production négative en carbone, c’est-à-dire absorbant plus de CO2 qu’elle n’en produit et permettant un stockage à long terme.
Résultats expérimentaux : le biochar comme amendement des sols
Des expérimentations ont été conduites sur le terrain, sous des climats et des sols variés, en comparant la productivité de cultures sous différentes modalités d’application : témoin, biochar, biochar + engrais minéraux, etc. Si la littérature semble abondante, on s’aperçoit qu’il y a beaucoup de reprises des mêmes résultats, notamment ceux de Lehmann en 2002, et que les expérimentations ont porté surtout sur des sols acides tempérés ou des sols lessivés de zones tropicales humides. Il s’avère également que la composition du biochar utilisé n’est pas spécifiée et que les doses appliquées ne sont pas toujours fournies.
Les effets cités de l’amendement des sols par le biochar sont les suivants :
- augmentation de la croissance des plantes ; cependant il semble que dans de nombreux cas, il soit nécessaire de le coupler avec une fumure minérale ;
- restructuration du sol, améliorant ses propriétés physiques ;
- amélioration de la rétention en eau du sol ;
- augmentation du pH des sols acides ;
- aide au développement de la microflore des sols et accroissement de leur activité biologique ;
- diminution du lessivage des nutriments, notamment des nitrates ;
- diminution des émissions de N2O et de méthane dans les sols hydromorphes ;
- diminution de la toxicité aluminique dans certains sols.
Résultats ou hypothèses scientifiques
Peu de choses sont connues sur les mécanismes d’action du biochar dans les sols. Il est nécessaire d’élucider les mécanismes pour prévoir l’action dans les différents milieux que constituent les sols et climats.
Différentes hypothèses sont émises mais demandent à être vérifiées :
- Le biochar serait du carbone amorphe à structure poreuse, ce qui lui confèrerait des propriétés d’absorption des éléments et de rétention de l’eau. Il constituerait aussi un support favorable pour les microorganismes du sol. Au Japon, où il existait traditionnellement une incorporation de charbon dans certains sols, des études ont également montré un effet favorable sur le développement des mycorhizes.
- Le biochar provoquerait dans les sols un accroissement de la CEC (capacité d’échange cationique) mais le mécanisme n’est pas connu. Les sols de Terra Preta ont un CEC élevée et stable, mais rien ne prouve que l’on puisse obtenir le même résultat par adjonction de biochar dans d’autres sols.
- L’effet sur le pH des sols serait dû aux cendres contenues dans le biochar et dépendant de la nature de la biomasse traitée.
- Il est par ailleurs reconnu que la pyrolyse dégage un certain nombre de produits toxiques (composés aromatiques, par ex.) dont l’impact sur la biologie des sols est inconnu.
Des questions de recherche qui restent à explorer…
Dans l’état actuel des connaissances, le biochar paraît avoir un potentiel pour stocker du carbone dans le sol à moyen et à long terme tout en ayant des propriétés d’amendement et d’amélioration de certains sols. Cet intérêt, couplé avec la possibilité de production de biocarburant et le développement du marché du carbone, ont conduit de nombreux groupes à s’y intéresser et à le promouvoir dans les forums internationaux. Cependant avant d’encourager son utilisation, un certain nombre de questions restent posées :
► La stabilité de cette forme de carbone dans le sol est-elle assurée ?
Le charbon est stable dans les sédiments et dans les sols, au moins dans certaines conditions d’humidité et d’anoxie, mais peut se dégrader plus rapidement dans d’autres environnements.
► Les effets bénéfiques du biochar sur les propriétés de certains sols sont-ils extrapolables et persistants dans le temps ?
La compréhension des mécanismes en jeu est nécessaire et demande beaucoup de recherches. Rien ne prouve que l’incorporation de biochar permette de reproduire les sols de types Terra Preta. Les mécanismes d’élaboration de ces sols ne sont pas élucidés et paraissent beaucoup plus complexes. Beaucoup d’auteurs doutent de l’intérêt de l’utilisation dans les terres sèches.
► Quelle quantité de biochar peut-on incorporer dans les sols pour qu’il soit efficace comme amendement et significatif en termes de stockage ?
Le biochar est pulvérulent, de faible densité, son incorporation au sol en quantité importante et son enfouissement paraissent difficiles d’un point de vue technique.
► Combien de biochar peut-il être produit de manière favorable d’un point de vue économique et environnemental ?
La production de biocarburant et de biochar, même à partir de sous-produits, peut être en concurrence avec d’autres usages : production animale, voire même avec le maintien de la matière organique et de l’humus dans les sols. Une production de biomasse dédiée à la production de biocarburant et de biochar pose des problèmes de concurrence avec d’autres productions. C’est particulièrement vrai dans les régions sèches où les résidus végétaux sont peu abondants.
► Quel est le bilan énergétique et carboné global de la production par pyrolyse de biocarburant et de biochar ?
Aucune estimation chiffrée n’a été trouvée à ce sujet.
En guise de conclusion, le biochar, ne semble pas être une solution toute faite au problème de restauration de sols et de stockage de carbone. Son intérêt en termes de lutte contre la désertification dans les terres sèches n’est absolument pas prouvé. Il semble actuellement possible et intéressant d’utiliser la pyrolyse pour la production de biocarburant et de biochar pour valoriser les résidus de l’industrie forestière et amender les sols acides des zones humides.
Dans certaines situations favorables, le développement du biochar constitue un des outils de séquestration du carbone atmosphérique, mais certainement pas la panacée. En particulier, des études doivent être conduites pour connaître les mécanismes d’action du biochar dans les sols avant d’inciter à sa généralisation.
De la même façon que pour les biocarburants, l’engouement que peut créer la perspective de nouvelles activités économiques ne dispense pas d’études complètes sur l’impact global de ces nouvelles filières, tant sur les écosystèmes que sur les sociétés paysannes pour lesquelles il est annoncé une amélioration de leur condition.