Les femmes, actrices de la lutte contre la désertification
Des rôles et des activités différenciés
L’organisation économique et sociale des sociétés rurales repose sur une forte différenciation des droits, des activités et des responsabilités entre femmes et hommes, qui s’articulent avec d’autres dimensions de stratification de la société, comme l’ethnie, les groupes statutaires, la religion, le niveau de richesse. Pour ces raisons, il n’y a pas une catégorie homogène de femmes, mais des groupes dont les intérêts parfois s’opposent et où les rapports de domination existent tout autant. Par ailleurs :
- La division du travail selon le genre, universelle, varie d’une société à l’autre et au cours du temps. Les femmes sont souvent assignées à des travaux moins valorisés socialement et économiquement (comme le travail domestique non rémunéré).
- L’organisation du travail ne repose que très partiellement sur les capacités physiques des hommes et des femmes. Elle découle d’interactions complexes entre diversité des modèles familiaux, des transformations technico-économiques et des rapports de pouvoir au sein de la société. Une activité dite « féminine » intéressera par exemple les hommes à la faveur d’un changement technique ou d’une meilleure valorisation sur le marché.
- La mesure des activités des femmes en milieu rural est difficile en raison de leur relative invisibilité dans les statistiques et les enquêtes. Celles-ci sont souvent limitées au chef de ménage ou d’exploitation et incluent peu les activités économiques marchandes ou non marchandes des femmes. Le temps de travail des femmes est souvent supérieur à celui des hommes, avec une part plus importante pour les activités hors marché.
- Les femmes ont des droits d’accès aux ressources matérielles (foncières, financières) et immatérielles (considération, représentation dans les instances de décision, niveau de formation) minorés par rapport aux hommes.
- L’accès aux ressources naturelles – terre, eau, arbres… – est marqué par le genre : les différences entre hommes et femmes s’expliquent, en partie, par les modes inégalitaires de transmission des droits sur ces ressources.
L’organisation familiale de production et de consommation est complexe.Appliquer un modèle de ménage unitaire et égalitaire qui reposerait sur une mise en commun des ressources et une répartition selon les besoins de chacun est fictif. Il existe des écarts entre normes sociales et individus qui varient en fonction des évolutions socioéconomiques et des négociations entre mari et épouse(s) qui ont lieu hors de la scène sociale.
Le genre
Concept utilisé en sciences sociales, désigne les rapports socialement construits entre femmes et hommes au-delà de leurs différences biologiques. Utiliser la notion de « genre » plutôt que celle de « sexe » souligne comment les sociétés se sont appuyées sur les différences biologiques, notamment celles liées à la reproduction, pour construire des rôles sociaux distincts entre femmes et hommes, souvent marqués par des inégalités. Les valeurs liées au masculin sont systématiquement plus valorisées que celles liées au féminin, même si ces valeurs peuvent varier d’une société à l’autre. La sphère domestique consacrée à la reproduction sociale — cuisine et activités de care (soins aux enfants et aux personnes âgées) — est souvent dévolue aux femmes.
Mutations sociales et environnementales : transformation des relations femmes-hommes
Pour les populations les plus vulnérables, la désertification et la dégradation des terres (DDT) ont de multiples conséquences – insécurité alimentaire, migration, aggravation des inégalités entre groupes socioéconomiques et, bien sûr, entre femmes et hommes.
La DDT n’affecte pas de la même façon les activités et conditions de vie des femmes et des hommes, car leurs rôles respectifs dans la production agricole et la gestion des ressources sont différents. Les femmes ont en effet un éventail plus étroit de possibilités pour faire face aux impacts de la DDT. Moins bien représentées dans les structures de décision et de pouvoir, contraintes par des normes sociales qui souvent les relèguent, elles voient leurs droits rognés en premier lorsque la compétition pour les ressources devient plus rude. Dans un contexte d’affaiblissement de la gestion lignagère des terres et de marchandisation des terres, les femmes se voient attribuer les terres les plus dégradées, voire sont privées de l’accès au foncier. La réduction des jachères et des espaces non cultivés, où les femmes pratiquent la cueillette pour l’alimentation ou la pharmacopée, affecte la sécurité alimentaire de la famille, pour laquelle les femmes assurent une part importante.
Les populations impactées par la DDT sont parfois contraintes de migrer vers les villes ou les pays voisins, temporairement voire définitivement. Si les migrations temporaires des hommes font depuis longtemps partie du système d’activités en milieu rural sahélo-soudanien, leur augmentation en durée et leur extension contribuent à aggraver la vulnérabilité des femmes restées au village, en charge des enfants et des personnes âgées. La féminisation de la migration, temporaire ou de longue durée, est une tendance aussi observée dans de nombreux pays.
Les interventions de développement sont également un facteur important de transformation des relations femmes-hommes. Ils peuvent contribuer à un meilleur empowerment des femmes, mais il n’est pas rare que faute de prendre en considération les questions de genre, ils contribuent à l’aggravation des inégalités.
Les femmes mobilisées dans la lutte contre la désertification (LCD)
Les femmes sont des actrices importantes de la LCD et dans la défense de leurs droits malgré les contraintes, les normes sociales et les représentations de leurs rôles véhiculées aussi bien par les institutions locales que, souvent, par les projets eux-mêmes. Aussi, les enjeux liés au genre et à la LCD ne peuvent être traités isolément, sans réflexion sur les orientations des modèles de développement.
La capacité des femmes à lutter contre la désertification s’exprime de nombreuses manières, sous forme d’initiatives individuelles ou collectives, et à différentes échelles :
1. Au travers d’activités ex-post de restauration des terres ou ex-ante de contribution au maintien de la biodiversité :
- Limiter la déforestation en réduisant la consommation de bois de chauffe à travers une gestion durable de la ressource ligneuse (marchés du bois régulés, plantations pour le bois énergie), en utilisant des foyers améliorés ou des produits alternatifs pour la cuisson ou la transformation des produits.
- Améliorer la part des productrices/transformatrices dans les chaînes de valeur de produits de l’agroforesterie ou de cueillette, en s’assurant du renouvellement des ressources.
- Appuyer les dynamiques territoriales autour de l’agriculture familiale, notamment les filières agricoles d’approvisionnement des villes en formant les femmes à des techniques agro-écologiques.
- Soutenir la restauration des terres et le reboisement et/ou l’agroforesterie, les femmes étant souvent impliquées dans ces travaux et pouvant en valoriser les produits.
2. Au travers d’organisations collectives de femmes à différentes échelles : nombreuses et variées, ces organisations peuvent influer les orientations des politiques publiques en matière de gestion collective des ressources, de reconnaissance des droits fonciers, de prise en compte institutionnelle des questions de genre. Si elles ne dévient pas de leurs objectifs, ces organisations contribuent à renforcer le pouvoir de décision des femmes et favorisent leur autonomisation. Toutefois :
- Dès que ces organisations « dépassent » le périmètre accordé aux femmes dans la société, une dynamique volontariste est nécessaire pour qu’elles y aient des responsabilités et que leurs intérêts y soient représentés.
- La formation de groupements exclusivement féminins est souvent un passage obligé pour permettre aux femmes de s’affirmer (nouvelles compétences, identité professionnelle…).
- En Afrique subsaharienne, le nombre d’organisations paysannes féminines progresse mais leur visibilité est plus limitée que celles majoritairement masculines, notamment du fait des conditions historiques et sociales dans lesquelles celles-ci ont été créées (à travers les cultures de rente par exemple).
- Dans les organisations mixtes, les femmes éprouvent plus de difficultés que les hommes à accéder à des postes de responsabilités, surtout si leur statut (de rang d’épouse et/ou de situation sociale de la famille) n’est pas favorable. L’articulation entre intérêts individuels et collectifs est parfois problématique et peut entraîner un accroissement des disparités entre catégories de femmes.
Au travers des politiques du genre et des outils de mise en œuvre tels que :
- Des conventions internationales, comme celle sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1979). Les trois conventions sur l’environnement (climat, biodiversité, désertification) intègrent progressivement le genre dans leur stratégie.
- Des législations nationales sur le genre, avec des avancées importantes bien qu’inégales.
- Des stratégies et des plans d’action sur le genre développés par des organisations internationales et des agences nationales d’aide au développement. Les ODD (Objectifs de développement durable) intègrent désormais mieux cette dimension du genre, aussi bien au niveau transversal qu’à travers un objectif spécifique (ODD5, égalité entre les sexes).
- Des outils pour mesurer, suivre, informer et mieux prendre en compte ces questions (marqueur genre de l’OCDE).
La LCD peut améliorer l’autonomie économique des femmes, leur capacité d’acteur, le respect de leurs droits et leur place dans la société pour peu que les interventions et les politiques prennent ces dimensions en compte. Jusqu’à présent, la faible représentation des femmes dans les instances de décision, du niveau local à celui international, et l’attention insuffisante aux problématiques spécifiques qui les concernent, demeurent des obstacles récurrents.