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Comité Scientifique Français de la Désertification

French Scientific Committee on Desertification
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Fiche d'actualité

Biodiversité et dégradation des terres en zones sèches – Oasis : importance de l’agrobiodiversité

Paru en Janvier 2021
Auteur(s) : Bourjac Mathilde

Traditionnellement, le système agricole oasien est constitué de jardins composés d’une palmeraie sous laquelle sont présents des arbres fruitiers –abricotiers, grenadiers,etc. – au pied desquels se trouvent des productions maraichères ou fourragères. Une véritable « oasis » de biodiversité cultivée mais menacée.

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Cette culture à trois étages, basée sur les principes de l’agroforesterie, créé « l’effet oasis ». Il s’agit de l’établissement d’un microclimat propice à l’agriculture. En effet, le palmier dattier filtre les rayons du soleil, a un effet brise-vent pour les cultures et maintient l’humidité du sol, ce qui diminue les températures. L’étagement en plusieurs strates permet aussi une meilleure répartition des racines dans le sol et une meilleure consommation des ressources disponibles, y compris hydriques.

Cette agriculture écologiquement intensive est souvent associée à un élevage extensif sur de grands espaces pastoraux. Cette association polyculture-élevage améliore la fertilité. L’oasis est ainsi, dès sa construction, un système reposant sur une forte agrobiodiversité. Les oasis possèdent donc un patrimoine agricole diversifié. Par exemple, le Maroc compte 453 cultivars de palmier dattier et plus de 2 300 hybrides naturels, la Tunisie plus de 250 cultivars1 et la Mauritanie 162 cultivars2.


1 Institut national de la recherche agronomique, Atlas du palmier dattier au Maroc, 2011
2 Ministère mauritanien de l’environnement et du développement durable, Sixième rapport national à la Convention sur la diversité biologique, 2018


Sécurité alimentaire et résilience face aux aléas 
L’agriculture oasienne, qui repose sur des exploitations familiales mettant en place un système d’association de cultures, assure une production suffisante pour les besoins alimentaires des populations locales tout en leur apportant un régime diversifié et équilibré. La sécurité alimentaire des populations des zones oasiennes – mais aussi à l’échelle des pays − est améliorée. Cette agrobiodiversité permet également aux producteurs de réduire la vulnérabilité de leurs exploitations à des aléas climatiques ou économiques. Elle aide aussi à réduire la vulnérabilité des systèmes oasiens aux maladies.

Source de revenus et d’activités économiques 
La culture d’une large gamme de productions crée des opportunités économiques. Dans la strate inférieure des oasis, certaines plantes aromatiques, médicinales ou tinctoriales, à forte valeur ajoutée, comme le henné, sont cultivées. La filière phoenicicole représente par exemple 50 % des revenus agricoles des deux millions d’habitants du Maroc3 . Au-delà de l’intérêt alimentaire, les nombreux sous-produits du palmier dattier – déchets, vinaigre de datte, etc. – peuvent être valorisés, créant ainsi emplois et revenus. L’échelonnement des productions dans le temps, en plus de permettre des apports nutritifs réguliers, fournit aux producteurs des revenus supplémentaires tout au long de l’année. En constituant des lieux de vie dans des zones à très faible densité démographique (moins d’1 hab/km²), les oasis sont de véritables pôles économiques qui favorisent la fixation des populations. Les activités connexes à la filière agricole (transformation, valorisation) ne sont encore que très peu développées, dans la plupart des cas, l’oasis est seulement productrice. La biodiversité peut potentiellement créer des emplois : valorisation et transformation des produits agricoles, tourisme, etc.


3 Resagro, Palmiers et dattes, l’or de l’oasis, 2018.


La biodiversité oasienne au service des enjeux de notre siècle 
Depuis plus de 2 000 ans, les oasis (sur)vivent grâce à leur capacité de gestion de la rareté des ressources leur apportant une forte capacité de résilience. Au fil des siècles, les populations oasiennes ont en effet développé une biodiversité adaptée aux conditions climatiques. Ce réservoir génétique d’espèces locales est indispensable à l’adaptation aux transformations climatiques et l’oasis constitue un réservoir de savoir-faire inestimable pour l’adaptation de la vie en zones arides. Les oasis portent un savoir précieux dans la gestion des milieux arides et de l’interaction entre l’activité humaine et son environnement tout en assurant la préservation et le renouvellement des ressources naturelles. Elles jouent un rôle de structuration de l’espace, fournissent des services environnementaux essentiels et pourraient constituer des réseaux écologiques et des aires protégées. Dans les zones sèches, les oasis constituent un habitat favorable pour la biodiversité sauvage, en particulier les oiseaux.

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Un mauvais système d’usage : la transformation d’une oasis en culture de palmiers 
L’économie oasienne repose principalement sur la culture du palmier dattier, essentielle pour de nombreuses régions des zones sèches. La valorisation et l’amélioration des variétés de dattes et de leurs qualités sont un enjeu de développement. Le système traditionnel oasien n’est aujourd’hui plus le seul modèle. On rencontre bien souvent, au sein d’une même oasis, l’ancienne palmeraie, des petites exploitations familiales à la marge et de grandes plantations modernes ou « cultures de palmiers ». Ce dernier système, encouragé par la capitalisation de l’agriculture prônée par les politiques de développement agricole des années 1960 (RADDO, Un exemple de préservation de la biodiversité dans les oasis du Djerid, 2011), met en péril la durabilité oasienne et entraîne des modifications jusqu’à l’organisation technique et sociale des oasis.

Menaces sur l’agriculture et l’économie oasiennes 
La transformation des oasis à trois étages en monocultures de palmier dattier entraîne une perte de diversité génétique du fait de la diminution du nombre d’espèces cultivées. La disparition des cultures vivrières augmente par ailleurs la dépendance des populations aux achats extérieurs. La dépendance commerciale au seul marché de la datte est dangereuse pour l’économie oasienne qui peut s’effondrer en cas de mauvaise récolte. 
La monoculture entraîne également une sensibilité plus importante des palmiers aux maladies et une propagation plus rapide et systématique de celles-ci. Au Maroc, en moins d’un siècle, la maladie du bayoud ‘Le bayoud est une maladie vasculaire causée par un champignon microscopique du sol, Fusarium oxysporum f. sp. albedinis, qui se propage en tâche d’huile dans la palmeraie) a diminué le patrimoine phoenicicole de 12 à 4,8 millions de palmiers. Les palmeraies les plus travaillées sont les plus menacées. Les variétés utilisées pour l’export sont particulièrement sensibles au bayoud. Ces différents facteurs accroissent les risques induits pour les zones oasiennes d’une trop forte dépendance de leur économie au marché du palmier dattier.

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Des ressources en eau menacées 
Le palmier dattier est très consommateur en eau, environ 20 000 m3 par hectare et par an. Au Maghreb, 60 % de la population est considérée comme « pauvre en eau », avec une moyenne annuelle de 500 m3 par habitant, en dessous du seuil défini par l’Organisation des Nations unies (1 000 m3). L’intensification de la culture du palmier dans les oasis peut ainsi avoir des effets dévastateurs dans cette région alors que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat prévoit pour 2050 une baisse de la pluviométrie.

La création de ces palmeraies modernes conduit à une exploitation minière des nappes souterraines d’eau fossile, une ressource non ou peu renouvelable. Associée à une urbanisation croissante, et donc à des besoins accrus en eau, l’augmentation de la superficie de ce type de palmeraie conduit à des conflits récurrents sur l’eau et, à terme, à l’épuisement des réserves hydriques souterraines.

Conséquences écologiques 
La disparition des trois strates de l’agriculture oasienne traditionnelle entraîne une disparition de « l’effet oasis » et la disparition du microclimat permettant un maintien de l’humidité et une diminution des températures. De plus, les moyens de lutte systématique contre les maladies des palmiers dattiers sont principalement chimiques. 
À terme et du fait des changements climatiques, l’accroissement des températures, des épisodes climatiques extrêmes (inondations, incendies, sécheresses) et des pollutions, mènera à la destruction de plus en plus massive des milieux oasiens.

Recommandations pour les oasis 

• Intégrer les problématiques oasiennes dans l’ensemble des politiques sectorielles des pays concernés.
• Adopter une gestion concertée des ressources naturelles par les populations.
• Promouvoir les pratiques agroécologiques existantes et innovantes.
• Mettre en place des systèmes de sauvegarde des espèces (conservation in situ par les populations locales).
• Identifier et développer des cultures stratégiques acclimatées aux régions désertiques.
• Faciliter le recyclage des déchets organiques oasiens (palmes, etc.) pour maintenir la fertilité des sols.
• Développer la production d’énergie durable.
• Intégrer les productions oasiennes dans des chaînes de valeur et les circuits commerciaux.

Pour en savoir plus : 

Jouve P., 2012. Les oasis du Maghreb, des agroécosystèmes de plus en plus menacés. Comment renforcer leur durabilité ?
Réseau associatif de développement durable des oasis(RADDO): www.raddo.org
Centre d’actions et de réalisations internationales (CARI): www.cariassociation.org
LabOasis Foundation: www.laboasis.org